La création de la Cour Pénale Internationale(CPI)  comme instance judiciaire permanente compétente pour juger des crimes internationaux les plus graves perpétrés contre les personnes, fut un accomplissement important dans le cadre de la défense des droits de l’Homme et de la lutte contre l’impunité des auteurs. 

Au long  de ses vingt années d’activité, comme toute institution et plus encore par la signification politique, juridique et morale qu’elle renferme , elle a fait l’objet de nombreuses critiques, certaines fondées et d’autres plus politiques et démagogiques. 

La Décision de la Chambre d’Appel rendue au début du mois de juin 2018 par laquelle  fut acquitté Jean Pierre Bemba Gombo, ancien Vice-Président de la République Démocratique du Congo  condamné par la Cour en mars 2016 pour crimes de guerre d’assassinat, de viol, de pillage et pour deux chefs d’accusation de crime contre l’Humanité ( viol et assassinat ),  a supposé un appel a la  réflexion sur la complexité juridique de la justice pénale internationale.

La Décision rendu en appel a suscité de nombreux questionnements essentiels sur le type de crimes qui sont jugés par la Cour.   Il est question ici de crimes dont le jugement de l’auteur  ou des auteurs directs reste difficile, pour lesquels l’existence de preuves  matérielles est rare  étant  donné que la plupart des preuves sont  basées sur les témoignages des victimes et des témoins. 

Ceci est d’autant plus vrai lorsque la Cour fait face à des crimes sexuels et plus précisément comme l’a rapporté la Procureure de la CPI Fatou Bensouda  lors de sa déclaration sur l’acquittement de Bemba, en déclarant que cette affaire fut « la plus grave affaire de violences sexuelles et à caractère sexiste sur laquelle la Cour a dû se prononcer à ce jour, d’autant plus à un moment où il est vital de signaler clairement au monde entier que de telles atrocités ne doivent pas rester impunies».

Les aspects les plus discutables (et discutés) de la Décision du 08 juin 2018 sur l’Affaire Bemba sont particulièrement  trois.

En premier lieu, la Section a effectué un revirement de la jurisprudence consolidée jusque-là, lequel en dépit d’être légitime, rompt avec la pratique respectée tant par la Cour comme par les Tribunaux ad hoc . Deuxièmement, ce revirement opère une réinterprétation de l’article 28 du Statut de Rome en ce qui concerne la responsabilité de Jean Pierre Bemba au sujet de la prise de mesures nécessaires pour prévenir et sanctionner les crimes commis par les troupes agissant sous son commandement ; ce qui reste alarmant compte tenu des circonstances des cas qui sont jugés devant la Cour.

En troisième lieu, en prenant compte des allégations de l’accusé concernant la cohérence de la preuve présentée ainsi que l’inclusion au sein de la condamnation de faits non visés au cours de l’instruction , l’appel impose une rigueur quant aux preuves matérielles et circonstancielles qui, bien qu’elle soit exigible dans tout procès équitable,  ne prend pas en compte des particularités des crimes pour lesquels la Cour est compétente.  

Pour une partie de la Doctrine, qui s’est penchée sur la critique de la Décision de la Chambre d’Appel, le fait d’exiger que soient confirmés, de manière individuelle et absolue  chacun des crimes commis impose un formalisme absurde, allant bien au-delà de ce qu’établit le Statut.

 Comme nous le verrons plus tard, l’opinion dissidente de certains juges, considère par ailleurs que la Chambre d’Appel ne peut et ne doit reconsidérer les faits prouvés. 

Jusqu’à l’Affaire Bemba et suivant la ligne établie par le Tribunal ad hoc pour l’ex-Yougoslavie, il était considéré que la Chambre d’Appel devait prendre en compte la preuve analysée par le Tribunal qui avait au préalable jugé le cas.

Jean Pierre Bemba fut le Président du Mouvement de Libération du Congo, un parti politique fondé par ce dernier, et Commandant en chef de son bras militaire, la Force Armée de la Libération du Congo. Lors de son arrestation, il était membre du Sénat. 

En juin 2009 la CPI confirma l’existe de preuves suffisantes pour estimer qu’ en tant que Commandant en chef, il était coupable de crimes contre l’Humanité et de crimes de guerre qui ont été commis sur le territoire de la République Centrafricaine , et plus particulièrement de viols, en omettant de prendre les mesures nécessaires à l’évitement des crimes qui ont été perpétrés par ses troupes. En mars 2016, il fut condamné en tant que responsable des crimes cités.  

Pendant  l'audience il a eté prouvé qu'il avait connaissance des actions criminelles entreprises par les troupes sous son commandement puisqu'il a tenté, symboliquement et sans succès, de renverser la situation. Le jugement a été  considéré comme particulièrement pertinent en ce qui concerne la lutte contre la violence sexuelle dans les conflits armés. 

De fait, après avoir pris connaissance de la décision d’'acquittement, Amnesty International, représentée par Solomon Sacco, chef de l’équipe justice internationale a mentionné que « la décision sera perçue comme un terrible coup porté aux nombreuses victimes de la « guerre contre les femmes »lancée en République Centrafricaine sous la forme d’une effroyable campagne  de viols et autres violences sexuelles ».

Kai Ambos (1) avait déjà évoqué  en 2009 au sujet de la confirmation des charges pesant sur Bemba des éventuels problèmes du point de vue juridique, qui ultérieurement, seraient cruciaux dans le cadre de la décision de la Chambre d’Appel : la responsabilité des crimes suite à l’omission de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter leur commission et l’intention de les commettre du fait de ne pas les réprimer ou de les éviter.

Ambos souligna que les éléments subjectifs de la responsabilité de Bemba en tant que co-auteur et à la fois, en tant que commandant en chef n’ont pas été clairement analysés  par le tribunal, en particulier au regard des articles 25(3) et 28 du Statut de Rome et a retenu la différence subjective entre « avait des raisons de présumer (que des crimes seraient commis) » et « aurait dû présumer (qu’ils seraient commis) ».

Egalement, la juge Sylvia Steiner dans le cadre de son opinion individuelle sur la Décision rendu a examiné l’exigence établie par l’article 28, et a constaté l´exigence d’une connexion claire entre la commission des crimes et l’incapacité  ou le manque de volonté d´exercer  un contrôle effectif de la part du supérieur hiérarchique.   AMBOS, Kai. Critical Issues in the Bemba Confirmation Decision. Leiden Journal of International Law, 22 (2009) pp.715-726

Steiner a souligné de la nécessité d’analyser et de définir plus clairement des obligations qui incombaient en ce qui concerne la prévention et la répression des crimes. 

Selon  ses précisions, la jurisprudence des tribunaux ad hoc  fait état de l’existence d’une obligation générale de maintenir l’ordre au sein des troupes et de les contrôler ; ainsi que de s’assurer qu’ils ont connaissances de leurs obligations conformément au droit international humanitaire en vigueur.

Ceci est un point crucial dans les affaires présentées devant la Cour car il est rare que l’auteur direct des crimes perpétrés s’assoit sur le banc des accusés. 

En règle générale, on a affaire à un chef d’Etat ou un commandant d’armée ou de groupes armés pour les crimes en question.

L’omission de respecter  les obligations de prévenir et sanctionner l’agissement des troupes ainsi que de l’instruire accroisse le risque de commission des crimes.  C’est ainsi que l’a appréhendé la Chambre qui était en charge de l’instruction (Pre Trial Chamber). 

La défense a estimé que le standard de l’évaluation du terme « augmenter le risque » doit être élevé permettant  « d’accroitre l’intensité du lien entre l’omission de l’accusé et la commission des crimes de telle sorte que la conséquence de celle-ci  soit certaine, directe et raisonnablement prévisible ».

Dans le cadre de l’analyse de la prévisibilité, Sylvia Steiner a reconnu qu’il devait exister un degré élevé de probabilité entre l’inaction du commandement et la commission des crimes. 

Ce sujet a également fait l’objet d’une opinion différente de la part de la juge Kuniko Ozaki dans le cadre d’un contexte similaire.

D’autre part, il existe un autre élément subjectif pertinent dans cette affaire concernant les articles 25 et 28 du Statut de Rome, qui est celui de la motivation du commandant en chef à prendre les mesures nécessaires à la prévention ou à la sanction des crimes commis par ses subordonnés.

La Chambre d’Appel a rejeté l’affirmation provenant de la décision de condamnation qui affirmait que la motivation de Bemba d’entreprendre certaines actions de protestation et de sanction à l’encore des crimes commis était uniquement pour sauver son honneur et n’avait pas pour intention de réprimer les crimes. Ceci a été en effet précisément un des arguments de la défense, qui a avancé que malgré la reconnaissance du fait que Bemba avait entrepris certaines mesures, il était considéré que sa motivation n’était pas d’éviter ou de sanctionner les crimes mais plutôt de « faire bonne impression ».

Pour sa part, la Procureure estima que lorsque les mesures sont manifestement insuffisantes il peut en être déduit qu’il n’y avait pas réellement d’intention d’agir.

En appel (paragraphes  166, 167 et suivants) la Chambre a considéré que l’obligation de « prendre toutes les mesures nécessaires et raisonnables » doit être combinée avec la capacité matérielle du commandement de réprimer les crimes ou de soumettre les cas à l’autorité compétente, ce qui revient à dire qu’il était en capacité de pouvoir prendre les  mesures nécessaires. 

Dans l’Affaire Bemba, et puisque une partie des opérations a été mise en œuvre en République Centrafricaine, la Chambre a estimé que bien qu’il existait une responsabilité certaine, on ne peut affirmer qu’il avait le pouvoir réel d’agir.

S’agissant de ces deux questions, Miles Jackson (2) procéda à une analyse intéressante. 

Le professeur Jackson a mentionné que probablement, le Tribunal  qui procéda à la condamnation n’avait pas prévu les conséquences liées au fait de ne pas évaluer ces subtilités sur la responsabilité de Jean Pierre Bemba en tant que commandant en chef… 

Ces conclusions, de même que les autres tirées par la Chambre d’Appel, compte tenu des faits et des considérations de la Chambre de l’Instruction (Pre-Trial Chamber),  ont entrainé de vives critiques de la part des juges Sanji Mmasemono Monageng et de Piotr Hofmanski dans leur opinion dissidente sur l’acquittement. 

En ce qui concerne la divergence avec la jurisprudence consolidée de la Cour, ils ont estimé que l’article 21 du Statut de Rome bien qu’il n’oblige pas à suivre la ligne jurisprudentielle précédente, oblige la Cour à appliquer les principes et les fondamentaux du droit « comme ils ont été interprétés dans les décisions antérieures ».

La Chambre des Appels dans l’Affaire Gbagbo, a établi qu’ « en l’absence de raisons plus convaincantes » elle ne s’écarterait pas de sa jurisprudence précédente.

Pour Mmasemono et Hofmanski, cette vigilance portée au fait de ne pas s’éloigner de la ligne jurisprudentielle assure la prévisibilité de la loi et de la  justice et permet ainsi de maintenir la confiance accordée aux décisions rendues.

Selon ces derniers, la Chambre d’Appel ne justifie pas dans sa résolution du motif par lequel elle s’écarte de la jurisprudence jusqu’ici établie. 

 

D’autre part, il existe une autre critique importante portant sur la révision exercée par la Chambre d’Appel des faits prouvées et mentionnés. 

A juste titre, la connaissance des faits est exponentiellement  différente du fait que, tant pour le Tribunal (Pre-Trial Chamber) qui procède à l’instruction, que pour le juge (Trial Chamber), ils en ont une connaissance directe au travers des preuves et des déclarations des témoins.

Selon ces magistrats,  la Chambre d’Appel s’écarte elle aussi de ce standard conventionnel de révision et interfère avec la reconnaissance des faits antérieurement réalisés, en s’attribuant  le pouvoir et l’obligation de réinterpréter les faits contrairement aux dispositions de l’article 83(2) du Statut qui requière que, pour effectuer ladite révision,  la condamnation en question doit être sérieusement entachée d’une erreur.

Les critiques de la Décision de la Chambre des Appels, toujours autour de ce thème de l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables et nécessaires pour empêcher la commission de crimes imposée par l’article 28 du Statut de la Cour, ont été unanimes autant pour les juges eux-mêmes, Mmasemono y Hofmanski que pour la Doctrine( Leila N. Sadat, Alex Whitting et Diane Marie Amman (3)), entre autres. 

Toutefois, Michael G Karnavas, avocat expert en défense internationale exerçant à la Haye  considère que l’article 83 du Statut de Rome n’oblige pas la Chambre des Appels à accepter la preuve telle qu’elle a été perçue et comprise par le Tribunal antérieur ; et dans une certaine mesure, cette opinion coïncide avec  le point de vue des juges Christine Van den Wyngaert et Howard Morisson rencontré dans une opinion individuelle à la Résolution de la Chambre d’Appel. 

Pour Karnavas, la responsabilité de l’accusé, quand elle lui est imputable par l’application de l’article 28 en tant que commandant en chef, doit être prouvée de manière absolue et ne doit pas se baser sur des preuves indirectes.

Selon son opinion, les preuves mis en avant par la défense n’ont pas été réfutées de manière objective. 

En constatant des analyses de la Doctrine, de la majorité de la Chambre des Appels, des opinions séparées et des arguments de M. Karnavas, il est évident que les uns et les autres ont adopté deux approches radicalement  différentes dont l’une se veut formaliste avec l’objectif de dégager un verdict juste, ce qui est évidemment l’objectif de tout procès ; pourtant, de mon point de vue, la spécificité de la justice pénale internationale doit être prise en compte .

La seconde approche, disons-le, plus passionnée, s’intéresse aux caractéristiques particulières des crimes objet de ce type de procès et relève des difficultés rencontrées quant à l’obtention de preuves et de témoignages avec, selon moi,  un angle de vue « activiste » sur la signification des procédures employées devant la Cour, dans la lutte contre l’impunité.

Ces deux  aspects ne sont pas inconciliables.

Quoiqu’il en soit, le procès à l’encontre de Jean Pierre Bemba nous positionne face à l’obligation d’avancer tant d’un point de vue juridique que dans la technique procédurale employée par  la justice pénale internationale.

 

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1  AMBOS, Kai. Critical Issues in the Bemba Confirmation Decision. Leiden Journal of International Law, 22 (2009) pp.715-726

2  Jackson, Miles. Comanders Motivation in Bemba. June 15,2018. ejiltalk.org.

3  Voir toutes les opinions en ejiltal.org.

 

Eulàlia Pascual i Lagunas, Juin 2018

Coalition for the International Criminal Court

MASTER

 

L'ICB souhaite vous informer de l'Annonce Officielle du Master en Justice Pénale International crée en collaboration avec l'Université Rovira i Virgili

4Èmes Rencontres Internationales Des Bureaux De La Défense

25 & 26 novembre 2016 Londres

RAPPORT DE SYNTHÈSE

 

Bureau de la Défense du Tribunal Spécial pour le Liban

Madame, Monsieur, 

Le Bureau de la Défense du Tribunal Spécial pour le Liban vous remercie de votre participation aux Quatrièmes Rencontres Internationales des Bureaux de la Défense, qui se sont tenues à Londres les 25 et 26 novembre 2016. 

Veuillez trouver ci-joint le Rapport de synthèse des Quatrièmes Rencontres en français, anglais et arabe.

Vous trouverez également ci-joint le questionnaire sur les enquêtes de la Défense, que nous vous remercions de remplir dans la langue de votre choix et de nous renvoyer, si vous ne l'avez pas déjà fait. Comme Johann vous l'a indiqué lors des Rencontres, vos réponses seront très utiles en ce qu'elles permettront d'illustrer le Guide des enquêtes d’exemples concrets tirés de votre expérience.

En vous remerciant encore pour votre participation et au plaisir de vous revoir à Nuremberg pour les Cinquièmes Rencontres en 2017.

Bien cordialement